La première en sagesse - Khema
 
Tout comme le Bouddha avait nommé deux principaux disciples Sariputra et Maudgalyayana parmi les bhiksus du Sangha, Il nomma également deux femmes dans la communauté des bhiksunis : Uppalavanna, la première en pouvoirs surnaturels, et Khema, la première en sagesse. Le Bouddha cita ces deux personnes comme modèles pour toutes les nonnes afin que ces dernières pussent considérer cela comme standard pour s’évaluer elles-mêmes.

Comprendre l'impermanence de la vie et atteindre l’état d'Arhat
"Khema" signifie "paix, stabilité" en pali et est synonyme du mot "Nirvana". La nonne Khema appartenait à la famille royale de Magadha, elle était d’apparence très blanche et jolie ; lorsqu’elle atteignit l'âge de se marier, elle devint l'une des concubines du roi Bimbisara. Ce souverain était un Srotapanna (désignant une personne entrée dans le courant et appartenant à la première catégorie des êtres nobles parmi les Auditeurs) et aussi un grand donateur au Bouddha ; il avait fait don de son bois de bambous (Venuvana) au Sangha ; il était par ailleurs très attentionné envers les moines et prenait soin d’eux.

Cependant, bien que Khema entendît souvent des nouvelles du Bouddha de la part du roi, elle refusait d’aller voir le Bouddha par crainte que le Bouddha ne critiquât sa beauté et ne lui parlât de l’illusion des plaisirs ; elle avait un très grand attachement pour tout cela. Toutefois, le roi trouva un moyen pour attirer Khema vers l’écoute du Dharma. Il employa un groupe de chanteurs pour lui chanter l’harmonie, le calme et la solennité du monastère de Venuvana. Comme Khema appréciait beaucoup la beauté naturelle, elle décida donc d’y faire une visite.

Vêtue d’une tenue élégante en soie et bois de santal, elle se dirigea lentement vers la salle où le Bouddha était en train de donner un discours sur le Dharma. Le Bouddha put lire l’esprit de Khema et utilisa alors Ses pouvoirs surnaturels pour faire apparaître une belle jeune fille se tenant debout à côté d'elle en train d’agiter un éventail pour elle. Khema fut attirée par cette belle fille et pensa au fond d’elle : « Je n'ai jamais vu une si belle femme, je suis en fait bien loin comparée à elle ; beaucoup de gens disent que le jeune moine Gautama Siddhartha n’apprécie pas la beauté, ils l’ont certainement mal compris. »

Le Bouddha laissa ensuite cette belle fille apparue magiquement évoluer de la jeunesse à l’âge adulte, puis vers la vieillesse avec des dents abîmées et manquantes, une chevelure grise et une peau ridée, pour finir par tomber par terre et décéder. A ce moment-là, Khema comprit alors l’illusion de la beauté extérieure et l'impermanence de la vie. Elle pensa : « Ce corps peut en fait se dégrader de cette manière ! Alors, mon corps suivra aussi certainement ce tel sort. »

Le Bouddha lisait sa pensée et dit :
« Khema, regarde ces éléments,
la maladie, l’impureté et la décomposition,
qui coulent et s’infiltrent partout,
seuls les ignorants y sont attachés. »

Lorsque Khema entendit la fin de la gatha, elle se trouva paisiblement dans l’état de Srotapanna. Mais le Bouddha continua de lui enseigner et dit une autre gatha pour terminer Son discours.
[les versets en version chinoise uniquement]

Khema s’éveilla complètement sur le moment, bien que son corps portât encore de beaux vêtements royaux, elle avait déjà atteint l’état d’Arhat et les quatre pénétrations (catasrah pratisamvidah en sanscrit). Par la suite, après avoir obtenu le consentement de son mari, elle entra dans la communauté des nonnes.

Aimer la vérité absolue, planter le champ de mérites de manière vaste
En écoutant l'histoire de Khema, les gens ordinaires ne voyaient que le miracle survenu sur le moment, mais le Bouddha pouvait voir plus loin, Il savait que la délivrance ultime de cette femme n’était absolument pas liée au hasard ni à la chance. Pour ce type de réalisation, presque semblable à un éclair, il ne pouvait se manifester que lorsque la graine de sagesse d’une personne avait traversé une longue période de cultivation et était devenue mûre, et que la pratique des préceptes et des actes devait aussi être parfaite.

Dans les vies antérieures, Khema avait déjà planté de manière vaste le champ de mérites sous le siège de nombreux Bouddhas. En raison de sa nature aimant la plus haute vérité absolue, elle naissait toujours dans des lieux où demeuraient des Bouddhas - des détenteurs de la vérité absolue. Il est dit que cent mille kalpas auparavant, elle avait vendu de beaux cheveux dans le but de faire offrande au Bouddha Padumuttara (蓮華上佛).

A l’époque du Bouddha Vipasyin, il y avait quatre-vingt-onze kalpas passés, elle était déjà une nonne et un maître du Dharma. Par ailleurs, selon les sutras, durant la période d’enseignement par les trois premiers Bouddhas du Bhadra-kalpa, avant Bouddha Gautama (Bouddha Sakyamuni), elle était déjà une disciple bouddhiste laïque ayant acquis le bonheur en faisant construire des monastères pour la communauté du Sangha.

Les efforts pour s’approcher de la source de la sagesse
A l’époque où Bouddha Sakyamuni demeurait dans le monde, lorsque la majorité des êtres se réincarnaient encore dans les cieux et dans les enfers, Khema s’efforçait toujours de s’approcher de la source de la sagesse. Quand il n’y avait pas de Bouddhas qui demeuraient dans le monde, elle se réincarnait dans les lieux où il y avait des Bouddhas Solitaires (Pratyekabuddhas) ou des Bodhisattvas. Dans une de ses réincarnations, elle fut l'épouse d’un Bodhisattva ; ce Bodhisattva conseillait toujours ainsi sa famille :
Pratiquer le don charitable selon sa propre richesse,
Observer les préceptes purs,
Se reposer sur la prise de conscience juste de la mort,
Comme pour nous tous, les êtres,
La mort est déterminée, mais pas la naissance,
Tous les phénomènes finiront par se détériorer et s’éteindre,
Il faut avoir la connaissance juste matin et soir.

Un jour, le fils de Khema dans cette vie fut soudainement mordu mortellement par un serpent venimeux, mais elle était en mesure de maintenir le "cœur habituel" :
Il vient sans être invité, et part rapidement sans être autorisé ;
Venir et partir, c’est identique, quelle est la cause de la tristesse ?
Les soupirs de la famille et d’amis n’excèdent pas les cendres du défunt ;
Pourquoi suis-je triste ? Il prend nécessairement cette route pour partir.
Le jeûne ou les pleurs, quels sont les bienfaits pour moi ?
Cela rendrait ma famille et mes amis encore plus tristes et malheureux.
Les soupirs de la famille et d’amis n’excèdent pas les cendres du défunt ;
Pourquoi suis-je triste ? Il prend nécessairement cette route pour partir.

Se conformer aux préceptes de la vie composés de dix vertus
Il y avait aussi une fois où elle était la belle-fille d’un Bodhisattva (avant l’atteinte de la bouddhéité de Bouddha Gautama, c’est-à-dire de Bouddha Sakyamuni) et était une grande reine ; elle rêvait à plusieurs reprises d’acquérir les enseignements du Bodhisattva, puis elle obtenait vraiment ce dharma.

Dans les sutras, il était également mentionné une époque où elle était une reine et où son époux était le futur Sariputra. Cet époux était un roi droit lors de cette vie antérieure, il se conformait aux dix vertus d’un souverain : le don charitable, l’observance des préceptes, le détachement, la loyauté, la bienveillance, la patience, l’harmonie, ne pas nuire, l’humilité et la justice. Grâce à ces dix vertus, le roi vivait une vie remplie de joie et de bonheur, Khema se conformait aussi à ces préceptes de la vie.

Etant donné que Khema avait purifié son cœur dans de nombreuses vies antérieures, elle était déjà assez mature, c’était pour cela qu’elle pouvait, à la première rencontre avec le Bouddha, réaliser instantanément la vérité absolue.

Vaincre la tentation de Mara
Sur le changement d’attitude de Khema face au désir amoureux, l’on peut constater clairement au travers des conversations enregistrées dans Les Gathas des Aînées (長老尼偈) qu’elle refusait les propositions d’un séducteur charmant parmi ses réponses. Selon les commentaires, ce séducteur était en fait Mara ; il s’efforçait de la décourager dans sa poursuite de la délivrance, mais c’était en vain car elle était déjà un Arhat :

« Vous êtes jeune et belle, je suis aussi dans la pleine jeunesse.
Les cinq plaisirs s’unissent et se développent ensemble, venez vite jouir de l’amour avec moi. »

« A ce corps répugnant, je le trouve à la fois dégoûtant et honteux,
il souffre de maladie et de fragilité ; je suis déjà détachée du désir, de l’amour et de l’avidité.

Le plaisir du désir amoureux ressemble à un couteau tranchant, les cinq agrégats sont votre planche à découper,
des cinq plaisirs sensoriels dont vous parlez, je n’éprouve aucun plaisir.

Tous les plaisirs sensoriels sont entièrement détachés, l’ignorance sombre est déjà dissipée.
Mara, vous devez savoir cela, vous êtes vaincu et déraciné. »

Les quatre vues concernant le Tathagata (le Bouddha) demandées par le roi Pasenadi
Le Bouddha avait fait l’éloge de Khema comme "la première en sagesse" parmi les nonnes. Un dialogue dans le Sutra Samyutta Nikaya (相應部) confirmait ce fait, il décrivait comment sa sagesse avait crée une profonde et longue influence sur le roi Pasenadi.

Le roi voyageait dans le royaume de Kosala et arrivait le soir dans un petit village. Il voulait avoir un dialogue spirituel avec les gens et ordonnait à ses domestiques de trouver dans le village des moines ou des brahmanes ayant de la sagesse. Les domestiques se renseignaient partout, mais ils ne trouvaient pas de moines ni de bramanes recherchés par leur maître. Néanmoins, ils apprirent qu’il y avait une nonne disciple du Bouddha résidant dans la ville. C’était la sainte Khema qui était célèbre aux quatre coins pour sa sagesse, son recueil des paroles du Bouddha et son éloquence.

Après avoir reçu ce rapport, le roi alla la voir. Il la salua respectueusement et lui demanda la situation après la mort du Tathagata (du Saint délivré) :
« Après la mort, le Tathagata (le Bouddha) va-t-il exister ? »
« Le Vénéré du Monde ne dit pas que le Tathagata va exister après la mort. »

« Alors, le Tathagata ne va-t-il pas exister après la mort ? »
« Le Vénéré du Monde ne le dit pas ainsi non plus. »

« Alors, le Tathagata va-t-il à la fois exister et ne pas exister après la mort ? »
« Le Vénéré du Monde ne le dit pas ainsi. »

« Alors le Tathagata ne va-t-il pas à la fois exister et non exister après la mort ? »
« Le Vénéré du Monde ne le dit pas ainsi non plus. »

Imaginer le Tathagata avec le concept de soi
Ainsi, le roi voulait savoir pourquoi le Bouddha avait refusé ces quatre types de réponses. Pour comprendre cette raison, nous devons d'abord comprendre la signification de ces quatre types de vues. Concernant la vue sur le Tathagata, ce dernier ne désigne pas ici seulement le Bouddha suprême, mais inclut tous les saints éveillés. Cependant, ces quatre types de vues se basent sur le concept de soi pour imaginer le Tathagata (le Bouddha), en supposant d’abord que ce saint éveillé soit un soi qui possède un corps réel ; cet argument et ce destin de soi sont contradictoires.

La première vue, qui est restreinte par la "soif d’existence", considère que ceux qui ont atteint le plus haut but continuent d’exister après la mort, encore sous une certaine forme métaphysique, comme par exemple, sous la forme d’un autre individu, ou d’incorporation à une nature spirituelle ayant une certaine super-personnalité. Ceci est la réponse donnée par la plupart des religions, y compris par l’explication bouddhiste en période ultérieure.

La deuxième réponse – le Tathagata n'existe pas après la mort - reflète la "soif d’inexistence", le désir de la cessation. Les théoriciens considèrent le Bouddha comme un soi existant réellement, et qui s’éteint complètement pour son sort après la mort. De ce point de vue, la délivrance n’est qu’une disparition absolue du soi réel.

La troisième réponse consiste à rechercher un compromis : toutes les choses impermanentes dans le corps du Tathagata seront éteintes lors de sa mort, mais la nature permanente - son âme - continuera d'exister.

La quatrième réponse tente d’employer la "double négation" pour échapper à la situation difficile, cette approche est une sorte de scepticisme, dissimulant encore le concept du soi réel pour le Tathagata.

Ces quatre types de modes étaient tous rejetés par le Bouddha qui les considérait comme des vues erronées ; ils supposent tous qu'il y a un "soi" qui existe seul dans le monde ; si ce "soi" n’est pas surestimé en tant que vie éternelle, il est éliminé et chassé dans un gouffre vide. Mais en fait, le "soi" et le "monde" sont des notions abstraites, établies tout simplement sur la base des cinq agrégats constituant le processus empirique ; seuls les Bouddhas et les disciples sages peuvent voir réellement ce point.

Les gens ne possédant pas ce type de vue sage tombent dans les quatre types de vues erronées. Ils supposent qu’il y a un "soi", un soi éternel, qui se réincarne dans le cycle de la vie et de la mort ; celui-ci évolue progressivement jusqu’à ce qu’il se soit délivré et qu’il entre dans le royaume céleste. Ils pensent peut-être que la délivrance est seulement la disparition du soi réel, ou alors ils prennent une position de compromis, ou tombent dans le scepticisme.

Le "soi" ou le "monde" est un processus en perpétuel changement
Cependant, le Bouddha nous enseigne qu’il n’y a pas un "soi" réel ni un "ego" qui peut être projeté dans l'éternité, ou être complètement éliminé. Ce type de soi réel n'existe pas au fond et il ne se réincarne pas non plus dans le cycle de la vie et de la mort. Le soi-disant "soi" ou le "monde" est en fait un processus en perpétuel changement, toujours en flux continu. Ce type de processus crée les illusions du "soi" et du "monde", celles-ci deviennent par la suite des objets pour imaginer la source du passé et le destin du futur. La voie de la délivrance doit nécessairement arrêter l’imagination du "soi", abandonner les vues et formules auxquelles nous sommes habitués, ainsi qu’examiner directement les phénomènes sur la base de la formation de la vue du soi (processus concret physique et mental).

La délivrance est acquise par la pratique, et non pas au travers de raisonnement ou d’imagination, mais par la pleine conscience pour observer la naissance et la cessation des cinq agrégats - la matière (forme), les sensations, les perceptions, les formations mentales (actes volitionnels), la conscience. Ces phénomènes proviennent tous de la cause, ils sont ainsi impermanents et vont s’éteindre. Mais toute chose impermanente qui va aussi s’éteindre, ne peut pas être le soi. Etant donné que les cinq agrégats vont tous s’éteindre et qu’ils peuvent tomber malades, se désintégrer et disparaître, ils ne sont donc pas la nature propre du "soi", ni de "toutes mes possessions". Ils sont juste des phénomènes provenant des liens interdépendants assemblés, la nature propre de la coproduction conditionnée étant vide.

Puisque toutes les vues du soi ne sont que des illusions du coeur, des produits du raisonnement, les propositions concernant la situation du Tathagata après sa mort sont donc aussi une sorte d’illusions, provenant d’un désir du concept de certitude. Tous ceux qui suivent les enseignements du Bouddha, comme la nonne Khema, ont certainement compris que le Bouddha n’a pas enseigné d’extinction de l’essence du soi. Nous vivons dans un monde variant qui se détruit en permanence et est incontrôlable, et dans le domaine de la mort, nous considérons que toutes les choses du "soi" et de "mes possessions" vont sans cesse disparaître. Ce n’est qu’en renonçant à tout cela que nous pouvons atteindre un lieu de refuge réellement paisible et stable. Le Bouddha a ainsi dit : « La porte du Nirvana est déjà ouverte, mais seules les personnes qui ont de bonnes oreilles peuvent y croire et entrer. »

Le Tathagata ne peut être défini
Au cours de la discussion avec le roi Pasenadi, Khema cita une parabole. Elle demanda au roi : « Avez-vous un mathématicien habile ou un statisticien qui peut calculer le nombre de grains de sable dans le Gange ? » Le roi répondit que c’était impossible parce que le sable du Gange ne pouvait être calculé et était indénombrable. Elle demanda de nouveau au roi s'il connaissait une personne en mesure de calculer le volume d'eau dans l'océan. Le roi considérait toujours pareillement que c’était impossible car la mer était tellement profonde qu’elle était imprévisible et difficilement mesurable.

Ainsi, Khema dit que c’était de même pour le Tathagata ; toute personne qui voulait définir le Bouddha pouvait seulement le faire en passant par les cinq agrégats, mais celles qui avaient déjà atteint l’Eveil n’étaient plus attachées à leur identité personnelle : « Le Tathagata ne peut être mesuré par la matière (forme), les sensations, les perceptions, les formations mentales (actes volitionnels), la conscience ; Il est aussi profond que la mer est imprévisible et difficilement mesurable. » Par conséquent, c’était inconvenable de dire que le Tathagata existait après la mort, ou n’existait pas, ou à la fois existait et n’existait pas, ou à la fois n’existait pas et non n’existait pas. Parmi toutes ces propositions, il n’y en avait pas une qui pouvait définir l’indéfinissable Tathagata.

Le roi, vis-à-vis des explications sages de la nonne Khema, était très réjoui. Par la suite, il rencontra le Bouddha et lui posa les quatre mêmes questions ; les réponses du Bouddha étaient entièrement identiques à celles de Khema, de plus, les termes utilisés étaient aussi les mêmes mot pour mot. Le roi fut très surpris, il raconta alors au Bouddha encore une fois son dialogue avec la noble nonne Khema, ce disciple féminin "première en sagesse".